La Chauve Souris
Les jours ont passé. La bise a soufflé de longues nuits,
Essayant de découdre les toiles d’araignée dans les recoins du vieux sécadou.
L’antique porte vermoulue grince parfois sur ses gonds rouillés.
Un volet disjoint claque contre le mur,
Rythmant ainsi le vol des nuages portés par le cers.
Une lune un peu obèse ricane et se voile d’éphémères vapeurs
Qui la nippent de chimériques oripeaux
Auxquels elle donne des teintes diaphanes et marbrées pareilles aux draperies d’avens .
Léon avait profité d’un bref coup de grèc pour se faire transporter
Jusqu’à la vieille tour du prieuré où il a fait la connaissance de Machota, la grande chouette.
Celle-ci se tenait bien droite sur le timon de la cloche,
Prête à fondre sur le premier importun,
Et lui lacérer le visage de son gros bec crochu.
Heureusement pour Léon, elle sommeillait un peu, ayant fait l’heure d’avant,
Un festin de princesse d’une carcasse de lièvre, abandonnée par là,
Par maître Salvaget, l’aigle d’Olargues le vieux et seigneur de Bardou.
Sans bruit, Léon s’accrocha à la corde et descendit jusqu’au gros nœud
Qui pend à hauteur de genou d’enfant de chœur dans la nef de l’église.
De cette hauteur, il sauta, téméraire, sur les grandes dalles froides du sol
Et entreprit de faire le tour du propriétaire.
Ses pas résonnaient jusqu’à la voûte en cul-de-four de l’abside
Et menaient un bruit si effrayant qu’ils réveillèrent Machota
Qui s’enfuit par la lucarne du clocher en poussant son long cri lugubre.
Un cliquetis d’os remués parvint jusqu’aux oreilles de Léon
Qui crut que les squelettes du cimetière se retournaient dans leurs cercueils,
Réveillés eux aussi par cette agitation nocturne insolite.
Puis toute la terre remuée repris la place qu’elle avait toujours eu,
Et la lune put regarder à nouveau défiler une nouvelle collection de nuages.
Léon effrayé, se glissait le long des murailles séculaires, à pas feutrés,
Prêt à toute éventualité mais quand même un peu effarouché de ce tremblement de terre
Qu’il venait si malencontreusement de déclencher.
Il parvint ainsi jusqu’à la chapelle saint Roch.
Ce brave saint, malgré son grand âge et sa blessure à la cuisse, était toujours attentif aux affligés.
Il fit signe à Léon de s’approcher, et il lui indiqua du doigt, celui-là même qui montrait sa blessure,
Une cimaise où avaient été plantés voilà bien longtemps, une multitude de clous forgés.
A chaque clou, était pendue une chauve-souris pour l’heure endormie.
Léon accrocha son parapluie à un des clous,
Il se coula à l’intérieur du parapluie et s’endormit bientôt lui aussi.
Comme la plus chauve-souris.
Mais il fût réveillé par des ronflements bruyants, amplifiés
Par les voûtes séculaires.
Effrayé tout d’abord, il se blottit au plus profond du parapluie,
Se boucha les oreilles et ferma les yeux.
Les ronflements continuant de plus belle, il ouvrit timidement un œil, puis l’autre,
Et se poussant sur les pieds doucement, il parvint jusqu’au bord de la toile imperméable,
Risqua un œil, puis l’autre : au-dessus de lui, accroché au manche de son pépin,
Une immense chauve souris anthracite se gonflait ou se dégonflait au rythme des ronflements.
Il frôla le bout de ses ailes de ses cheveux, ce qui eut comme conséquence de la faire sursauter ;
Heureusement, elle reprit le rythme de sa respiration cadencée, mais elle ne ronflait plus.
Léon se sentait pris au piège, s’il tentait une sortie, il risquait de réveiller la bête géante
Qui sans doute possédait une gueule effrayante et ne ferait de lui qu’une demie bouchée.
Pourtant, il commençait à mieux respirer, plus calmement comme si un suave parfum
En se répandant alentour, apportait un sensation de bien être et de calme,
Comme une odeur d’encens, mais moins piquante et aussi furtive
Qu’on peut penser la reconnaître et qu ‘elle vous échappe aussitôt.
Voilà notre Léon bien intrigué par cette nouvelle rencontre,
Il ne sait que penser, devant cette bête inconnue, effrayante,
Mais dotée d’ un tel pouvoir tranquillisant par cette odeur répandue,
Qu’elle ne peut qu’être bonne ou alors perfide à un point… qu’il n’ose imaginer.
Mais peut être vaut-il mieux rester prudent.
Voilà Léon perplexe ; quelle attitude adopter ?
Impatient, curieux, intuitif, il rassemble son courage et d’un élan irrésistible
Il attrape le bas de l’aile de la chauve souris qu’il secoue, pas trop hardiment
Pour ne pas l’effrayer, et quand même de plus en plus fort, voyant que la bête reste insensible
A sa poigne de lutin minuscule.
Rien à faire, notre Léon ne parvient pas à réveiller Galaa, la grande prêtresse
Qui s’est endormie pour un siècle au moins !
Car c’est bien elle qui a prit ses quartiers d’hiver près d’Olargues.
On lui a dit au royaume de Galaan d’où elle vient, que cette contrée de la vallée du Jaur
Était réputée depuis la grande dévastation des châtaigneraies à la fin du siècle,
Pour la multitude des insectes
Qui trouvaient refuge dans les troncs pourrissants des châtaigniers abandonnés.
N’en croyant pas ses oreilles ultra soniques de chauve souris, elle avait tenu à venir se rendre
Compte par elle même de l’ampleur de cette catastrophe
Privant une si belle vallée de son patrimoine ancestral.
Elle avait parcouru les vallons de Marso, Euzèdes et Trédos au cours de sa première nuit.
Le lendemain, elle avait survolé Ardouane, La Fourberie, Tarbouriech et le saut de Vézoles.
Dans chaque vallon, sur chaque parcelle, près de chaque source,
Elle avait rencontré une multitude de chauves souris qui zébraient le ciel
Happant des moucherons, se régalant d’une multitude d’insectes,
Heureuses de parcourir des cieux aussi prolifères,
Des montagnes recelant tellement de grottes, d’avens
Et de bâtisses abandonnées, autant de refuges pour la gent des souris volantes !
Elle avait décidé au terme de trois nuits d’exploration ininterrompue
De prendre un peu de repos dans cet excellent observatoire
Qu’est le prieuré de Saint Julien des Castagnés.
Elle avait bien trouvé une région aux cultures abandonnées, aux champs en friche
Aux ginestières nombreuses, gagnant sans cesse sur les terres sacrifiées.
Une montagne aux mas écroulés, aux bergeries ruinées, aux sentiers embroussaillés.
De-ci de-là , une terre verdoie, irriguée par un béal encore entretenu.
Là un hameau entier s’est complètement vidé et ne ressuscite qu’à l’estive
Pour le seul bonheur d’étrangers à ce coin de terre qui l’empêchent de mourir complètement…
Partout ailleurs, les murettes s’écroulent peu à peu sous les assauts des pluies d’automne,
Sous les sabots des mouflons sauvages ou poussées par les racines de la forêt
Qui reprend son droit d’aînesse et refonde le spectacle sauvage rencontré par les Gabales
Lors de leur conquête ancienne sur la forêt.
Soudain la cloche du prieuré s’ébranla pour sonner l’angélus.
« Dong, dong, dong ! Dong, dong, dong ! »
Toutes les chauves-souris se précipitèrent à l’intérieur du clocher
Dans le froissement de soie de leurs petites mains palmées : « flô, flô, flô »
La reine des chauves-souris se réveilla subitement et s’envola, elle aussi,
Laissant derrière elle un suave parfum d’encens, plutôt comme de l’encens,
Enfin un parfum que Léon ne pourra jamais plus oublier !
Comme elle n’avait pas pris suffisamment de hauteur en passant près de la corde,
Elle frôla le chignon de la campanaire qui s’enfuit en criant que le diable
L’avait battue et qu’il voulait l’empêcher de sonner l’angélus.
Elle ne voulut plus jamais sonner les cloches !
C’est depuis ce temps que dans les villages de la vallée,
La sonnerie des cloches a été automatisée.
Léon profita de la porte laissée ouverte par la campanaire,
Pour sortir, lui aussi de l’église, son parapluie sous le bras…
Cependant, le premier rayon de soleil du jour
Traversait le vitrail du chevet et éclairait le bon visage de saint Roch souriant.